Lignes de Crêtes

 




Jean-Brice Godet  : Clarinettes, dictaphones à cassettes, radio

Pascal Niggenkemper  : Contrebasse, préparation, objets

Sylvain Darrifourcq  : Batterie, percussion, cithare

« Un homme marche dans la forêt. Il est rapide, alerte, sûr de ses jambes. Sous ses pieds des cailloux, au loin les wow wow wow qu’il attribue à un renard mais cela pourrait être tout aussi bien un singe. Il n’y a pourtant pas de singe de ce côté là de la planète, simplement une énorme cascade. Elle gigote et fait trembler le paysage. Le vent est à contre et fouette le marcheur, il faut avancer, se dit-il. C’est hostile comme une mer d’algues et pourtant le promeneur semble aimer des ronces et des orties. Ses pas fermes se concentrent sur un but qu’il ne connaît pas encore. Seul le chemin compte se dit-il, tout en pensant à Bruce Lee et à ce peintre qui répétait des lignes noires au stylo bille sur du papier à cigarette dont le nom ne lui revient pas. Il entend des bruits dont il ne saurait dire si c’est le râle d’une machine de navire grippée, le grésillement saturé d’une ligne à haute-tension, ou celui d’un molosse de Cestoni.  Les arbres le regardent comme les gardiens d’une île, armée de géants feuillus au tronc fier, trompe l’œil de la nuit prêts à dégainer leurs accompagnements pour une marche lactée.


Les Lignes de crêtes de Jean-Brice Godet et de ses deux inventifs comparses me racontent des histoires sonores. Des paysages s’entrechoquent, déformant mon oreille pour créer un magma monde où dansent des tribus tribales aussi punk qu’aborigène, où j’entends un marteau qui appuie sur un clou et le vent qui pousse dans les vêtements au bord d’une falaise. Sans compter sur l’aspect visuel de ses trois instrumentistes. Ainsi lors de leur concert, j’ai vu une contrebasse harnachée de trois bols comme trois tétons géants, une clarinette dictaphone, une batterie hantée.


Cette musique est comme une diligence sur une route de chaos, secouante, heurtée, et de temps en temps une roue casse et on prend l'air pour la réparer, les indiens débarquent, et l’on repart à la conquête des tympans ! »


Matthieu Malgrange

Concerts passés :

17/05/16            Atelier Du Plateau (Paris)

29/03/17            Festival Banlieues Bleues - Atelier Du Plateau (Paris)

Sortie Officielle le 29 Mars 2017

Festival Banlieues Bleues

Reviews :


Gregory Applegate Edwards / / Published the 6th of march 2017

http://gapplegatemusicreview.blogspot.fr/2017/03/jean-brice-godet-lignes-de-cretes.html


The convergence of new music and avant jazz continues, with labels like Clean Feed giving us a wealth of music that manages successfully and engagingly to bridge a divide that once seemed hard to surmount. (But of course we should not forget the exceptional work of AACM artists in this zone.) Today we have another very effective example from Jean-Brice Godet on clarinets, radio and dictaphone. He heads a trio for a wide-ranging breach of everyday categories. The album is called Lignes De Cretes (Clean Feed CF406CD).


Pascal Niggenkemper joins Godet on doublebass and objects; the trio is made complete with the presence of Sylvain Darrifourcq on drums, percussion and zither.


There is movement and development going on throughout, beginning with "No Border," with concrete and enhanced sounds that begin sparsely and ambiantly, then traverse gradually into expressively free territory with some wailing clarinet, arco bass and a wash of tone-noise of unspecified provenence. Sylvain enters with a series of irregular tatoos and we are off to parts unknown. The segment continues on with the periodistic insistence and regular-irregularity of free jazz, then segues into "No Logo" with a three-way contrapuntal dialog of clarinet, bass and drums which has even more jazz-speech inflections than what we have heard in the opening.


"No God" opens up the space further with some ruminating drum statements and ambient noises--jagged stutters that open another sound world that tumbles forward into our listening minds. Godet's incantatory clarinet emerges with some performative testifying while Niggenkemper's prepared bowing and Sylvain's drumming fall into the expressive zone once again. It continues in free roll while the bass punctuates more emphatically with pizzicato pluck-shouting. Clarinet and drums respond with their own soul calls, earthy epithets and emotive figurations. Things eventually grow quiet and end in some bluesy phrasings.


"No Fear" begins in silence, then creates a ritualized series of overlapping sequences on an altered zither, bass clarnet long tones, and arpeggiating pizzo-harmonics. It channels yet another intriguing aural space into our listening selves.


And so it goes, a fascinating set on an inspired night. This is music you  need to allow into your head. It needs you to actively collaborate with it in order to make its expression clear. But then it rewards with something worthwhile, border-crossings that we do not want to prevent by building a wall. No wall!!


Recommended.

Franpi Barriaux // Publié le 26 mars 2017

http://www.citizenjazz.com/Jean-Brice-Godet-3474296.html


Les Lignes de crêtes, ce sont ces points hauts entre deux vallées comme autant de mondes, où le chemin est si étroit qu’on se voit tomber à chaque pas. Les alpinistes le savent, ceux qui chutent sont ceux qui avancent à pas comptés, hésitants, les genoux en nougat et les mollets contractés. Mieux vaut filer droit devant, à pas amples et assurés ; en musique c’est idem. Sur la ligne de crête où convergent les à-pics les plus vertigineux de l’improvisation et du free, on ne sera pas étonné de retrouver le trio constitué autour du clarinettiste Jean-Brice Godet. Ils s’y comportent comme des chamois, sautant d’un piton rocheux à l’autre sans redouter les éboulis. Le contrebassiste Pascal Niggenkemper est certes coutumier des fonds marins, dont il a fait un sublime Talking Trash, mais l’altitude ne l’effraie pas, et sa contrebasse truffée de corps étrangers d’usages divers s’adapte à l’ivresse des sommets. Quant à Sylvain Darrifourcq, son approche si charnelle et si personnelle de la percussion suggère justement la pesanteur. Le nécessaire équilibre.

Godet et Niggenkemper sont des compagnons anciens. On avait d’ailleurs entendu le contrebassiste dans Mujô, avec le batteur Carlo Costa, lui-même leader de l’orchestre Acustica, où ils émargent ensemble. Dans tous ces cas, les sons deviennent autant de matière sensible, fragile, impermanente qui fait tressaillir ou divaguer. C’est exactement l’enjeu de « No Border », le long premier morceau de l’album. Après quelques instants de silence, les ondes d’une radio se règlent sur des souffles indécis. On pénètre dans un biotope inconnu. Il n’est pas inquiétant, il est simplement en expansion et luxuriant. Les sons proviennent de tout : objets ou surfaces, sans que l’on sache vraiment déterminer à quoi ils appartiennent ; des cliquetis peuvent venir d’une batterie à la saccade faussement régulière ou des cordes qui claquent sur de nombreux obstacles. On pense dans un premier temps que tout est fortuit et aléatoire, mais une écoute attentive balaie ce sentiment. C’est au contraire un chaos tout à fait entretenu, voire programmé dans son inéluctable submersion. Les clarinettes de Godet sont à la manœuvre, ce que l’on perçoit naturellement dans le court « No Logo » où des bribes de mélodies serpentent entre les stridences et les frappes. C’est un enchevêtrement touffu qui symbolise un sous-bois grouillant de mousse.

Une nature qui regagne ses droits mais se souvient des architectures passées. Les lignes de crêtes ne surplombent pas une forêt vierge, bien plutôt un terrain vague, abandonné, laissé aux ronces qui lui redonnent vie. C’est l’affirmation d’une déclaration d’indépendance de trois musiciens qui sondent depuis longtemps des univers peu ou prou semblables : l’Apoptose de Sylvain Darrifourcq se rappelle à notre bon souvenir lorsqu’il heurte sa cithare (« No Fear ») et aux deux autres pointes du trio, on identifie une attitude contemplative aperçue dans Mujô ou dans Look With Thine Ears, le solo du contrebassiste. Quand l’orchestre se met à rugir (« No God »), on perçoit une quiétude malléable qui reprendra toujours sa forme initiale, malgré les turpitudes et les escarpements. Respirez un grand coup et laissez-vous ballotter par ces artistes sans craindre le précipice. Ce disque est un voyage magnifique.

Derek Stone // Published the 14th of April 2017

http://www.freejazzblog.org/2017/04/jean-brice-godet-lignes-de-cretes-clean.html


Admittedly, I had never heard of Jean-Brice Godet before delving into his newest release for Clean Feed, Lignes De Crêtes. There were, however, a few things about the recording that immediately piqued my interest: first, a quick glance at the album's information page reveals a rather diverse blend of “instruments,” especially when considering that there are only three musicians involved - in charge of clarinets, radio, and dictaphones, for instance, is Godet, while Sylvain Darrifourcq covers drums, percussions, and zither. Second, any album that involves renowned bassist Pascal Niggenkemper is one that, at the very least, warrants close attention. As one of the hardest-working performers in the world of jazz, free or otherwise, he has routinely pumped out music of consistently high quality. Lastly, Godet himself, though not necessarily on my radar before this release, has frequently worked with musicians who are constantly on my radar, like Joëlle Léandre and Anthony Braxton. If the old axiom that “you can tell a lot about a person by the friends they keep” held true, then I was positive that Lignes De Crêtes would be a compelling listen.


With track titles like “No Border,” “No Logo,” “No God,” and “No Fear,” one would expect (and maybe even hope) the pieces themselves to be iconoclastic and even a little unruly - luckily, they often are! The first, “No Border,” opens like the start of some decayed transmission from another world - light swathes of static, tentative feelers from Godet’s clarinet, and ever-so-slight hints of dread woven in by Niggenkemper. As the tension rises, the various slivers of sound begin to coalesce, and recognizable patterns materialize. The first of these patterns is made up of Godet’s serpentine figures, notes that tumble helplessly one after another. The second consists of Darrifourcq’s martial drum-work, almost breathtaking in the way that it leaps out of the swirling stew of abstract textures. Once Niggenkemper’s dense, percussive bass-lines come in, the picture of a somewhat “traditional” free jazz group emerges, and the listener can finally latch on to something concrete. “No Logo” is a brief, creaking sigh before the second long-form piece on the album, “No God.” Compared to the near-alien soundscapes of the opener, “No God” feels like a relatively straightforward bout of music-making - well, aside from the disorienting tape manipulation done by Godet. When the latter finally switches to clarinet, the piece secures itself as one of the most immediate on the entire recording, with Darrifourcq’s elastic rhythms and Niggenkimper’s springy, restless bass-lines offering the perfect support for Godet’s frenzied cries. The final piece, “No Fear,” features Darrifourcq on zither, an instrument utilized here more for its textural possibilities than anything else. As the final ragged breaths of the zither’s strings fade off, so too does any sense that this group has any limits.